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Contes Lyonnais d'hier et de toujours
Conférence du 6 octobre 2007

 

 

Conférencier : Gérard Truchet

Compte-rendu extrait du Bulletin n° 242 de novembre 2007

 

 

Suite à des travaux effectués par la Ville de Lyon, la salle Edouard Herriot du Palais de la Mutualité est indisponible pour une période indéterminée. Les sociétaires sont donc conviés à se retrouver dans une salle qu'ils connaissent bien puisqu'il s'agit de la salle de la Ficelle à la Croix-Rousse.

Pour cette première conférence de la saison 2007-2008, c'est environ 250 personnes qui se retrouvent de collagne pour écouter le président Gérard Truchet qui propose une lecture de deux contes écrits par Eugène Vial sous les pseudonymes de Thomas Bazu ou de Benoît Lartoupan. Pendant une heure et quart la salle a été tenue en haleine par le conférencier qui a repris un conte publié en 1925 dans l'Almanach des Amis de Guignol (N°4) sous le titre « Le Sage du Gourguillon ». C'est l'histoire de petits gones qui s'amusent dans la montée du Gourguillon avec un chariot de leur confection. Ce chariot va débarouler la pente avec les garnements et va inévitablement rentrer en collision avec les passants et notamment le père Philibert juché sur une échelle en train de repeindre une devanture. Le résultat est un grand charivari dans le quartier comme de bien s'accorde. On peut se demander où Thomas Bazu va chercher tout ce qu'il raconte. Le tout étant fort brillamment mis en valeur par le talent de comédien et de conteur de Gérard Truchet. L'auditoire a vivement apprécié le parler et l'accent lyonnais du conférencier qui a été applaudi et qui le méritait grandement.

Le deuxième conte lu lors de cet après-midi est tiré de l'Almanach de 1925 sous le titre suivant : « Il faut savoir se retenir devant le monde » toujours du même auteur. Il nous a paru judicieux de publier l'intégralité de ce texte. Les personnes absentes pourront apprécier le talent de l'auteur, les sociétaires présents dans la salle retrouveront avec plaisir le texte d'Eugène Vial et se remémoreront la lecture exceptionnelle de ce conte effectuée par Gérard Truchet.

Jean-Paul Tabey

 

Il faut savoir se retenir devant le monde

Benoît LARTOUPAN

Quand j'étais grand comme ça – dans les sept-huit ans – et qu'on restait en rue Juiverie, on nous faisait aller, moi et la Mélie, ma cadette, à une salle d'asile qu'il y avait, de ce temps, sur la place de l'Ancienne-Douane, la deuxième allée après les Treize-Cantons, du côté de la rue d'Angile. Pensez voir ce qu'il a pu se passer d'eau, du depuis, sous le Pont de Pierre, à présent que je suis grand-père, et six fois encore, bientôt sept : c'est pour la fin du mois.

Comme je ne suis plus guère bouligant, maintenant, rapport à mes douleurs, c'est souvent, n'est-ce pas, qu'on me les donne à garder, ces miaillons-là, du temps que leurs mères sont à la plate, et je vous promets que, comme tourmente-chrétiens, il n'y a pas mieux qu'eux dans tout le quartier. Quand ils me sont trop après et que je ne sais plus qu'en faire, je leur raconte, des fois, des histoires de quand j'étais comme eux, pour qu'y se tiennent un miment tranquilles ; et puis aussi pour leur apprendre ce qui n'est pas de faire à leurs âges.

En voilà une que je leur ai dite l'autre jour, qu'on avait été obligé de mettre la paillasse de ma petite Benoîte à sécher sur l'appui de la croisée.

Une fois, la Demoiselle de l'asile – la maîtresse – nous avait expressément recommandé qu'on y soit bien tous, le samedi prochain venant, habillés en dimanche, ou, pour le moins, avec des tabliers propres, bien décrassés, peignés et tout ce qui s'ensuit – vu que, ce samedi-là, à trois heures petantes, il viendrait l'Inspecteur des asiles, pour voir la nôtre. Censément sans avoir prévenu personne, mais il l'avait quand même écrit par avance, pour qu'on se méfie, vous comprenez. Un homme de Paris, tout ce qu'y avait de savant, avec des décorations en veux-tu en voilà, et qu'il ne s'en trouvait en France que trois autres de comme lui – à ce qu'avait dit la Demoiselle.

Comme bien vous pensez, personne n'aurait manqué de venir en classe ce samedi-là, pour voir le Monsieur comme il n'y en avait que quatre en France. On était donc tous là d'avance, avec ses beaux affaires, et, à mesure qu'on arrivait, on allait s'asseoir à sa place habituée. On en avait mis un dans l'allée, un grand, pour soigner venir le Monsieur, et, dans l'en-bas de la salle, on voyait une table pour lui, avec un tapis, et un fauteuil rouge.

Il faut vous dire que les salles d'asile des autrefois n'étaient pas rien comme aujourd'hui les écoles. Tout le fond n'était qu'en escaliers de bois et on était tous assis censément sur les degrés. Il y en avait dix, d'escaliers ; les plus petits, qui donnaient la main, se tenaient à ceux d'en bas, et ainsi de suite… Les plus grands à ceux d'en haut, contre le mur. Les filles d'un côté et les gones de l'autre, avec une allée au beau milieu, pour marquer la séparation.

Ce jour-là, il n'y avait pas moyen de nous faire rester en paix. Ça japillait de partout ; les filles principalement, comme de juste. Elles se montraient toutes leurs affutiaux, et alors il y en avait qui étaient jalouses, qui se pinçaient, qui se grafignaient, qui se tiraient par leurs tresses ? Les gones sifflaient ou s'appelaient d'un degré à l'autre, on faisait débarouler des gobilles : c'est bien simple, on n'aurait pas entendu sonner le gros bourdon de Saint-Jean. D'attendre, n'est-ce pas, ça vous énerve, quand on n'est pas à un âge raisonnable… Et puis, quand on est grand aussi !

Pour nous occuper, la Maîtresse avait donc commencé de nous faire chanter La p'tite bergère, en se tapant dans les mains ; comme ça au moins, on avait plus que ses pieds pour faire des sottises :

Sous un alisier
Se reposait une bergère
Tournant son fuseau
Elle aperçut un p'tit oiseau,
Elle se lève…

On en était seulement qu'à cet endroit, quand, tout par un coup, voilà qu'on entend des grands arias du côté des garçons, vers le coin d'en haut. Ils appelaient comme des perdus : «  Mademoiselle ! Mademoiselle ! Y a le Toine qui emboconne ! »

La maîtresse grimpe quatre à quatre les degrés et elle fait lever le Toine ! Un grand de neuf ans, qui écrivait déjà des barres : l'aîné des pattis de la rue de l'Arbalète. Ah ! Il était propre le gone ! Il en avait de partout, sur lui et aux alentours, et il pleurait comme une fontaine, en disant pour sa raison que c'était la faute à son oncle de Chaponost qui lui avait apporté un plein panier de prunes.

La Demoiselle, comme bien vous pensez, en était sens dessus-dessous. Elle criait, en levant ses bras : « Si c'est possible ! Un jour comme aujourd'hui ! Voyez moi ce petit poison ! Madame Louis ! Madame Louis ! (c'était la bonne de l'école) Madame Louis, allez vite me chercher la pelle et des cendres, et puis vous m'emmènerez ce grand malhonnête sous la pompe ; et pour lui apprendre, quand on sortira, il se mettra en rang à la queue des filles. Allons ! rondo !  L'Inspecteur qui va arriver ! Quelle catastrophe, mon Dieu, mais quelle catastrophe ! ».

Nous, on s'était mis droits pour voir, les gones comme les filles et on se demandait les uns les autres :
– Quoi donc qu'il a fait ?
– Qu'est-ce qu'elle a dit, la demoiselle ?

Et, comme on n'avait pas bien compris la fin et qu'on croyait que c'était un vilain mot, l'accident commençant pareil, les plus près expliquaient aux autres :
– Elle a dit : Quel ca… !

Et on se surchotait la fin dans le tuyau de l'oreille, avec la main devant. C'était pas une chose à dire fort, n'est-ce pas, tant qu'on était à l'Ecole. La maîtresse était rique-raque la dessus.

Pendant ce temps, la bonne avait charrié le Toine dans la cour pour le désemplâtrer ; on avait ouvert les croisées pour dissiper l'odeur et on s'était remis à chanter La P'tite bergère :

Elle se lève, elle l'appelle
A sa douce voix,
Dessus son doigt
Il vient se mettre ;
L'oiseau folâtra
Puis voltigea, et s'en alla.

Mais on venait tout juste de finir l'air, que voilà le sicotis qui recommence. Au troisième rang des filles, les petites se mettent à lever le doigt et à réclamer : «  Mamoiselle ! Mamoiselle ! C'est la Marguerite que se mouille ! »

Ah ! ce qu'elle a été colère à ce coup-là, la maîtresse !

– Encore une (qu'elle hurle), mais y le font à l'exprès, alors ! C'est bien la peine, grande sale, d'avoir un père que fait le suisse à Saint-Paul, pour être si mal usagée ! Il va donc falloir leur mettre des guilles, à ces enfants, s'ils perdent tous comme des caquillons neufs ! Madame Louis ! Madame Louis ! emmenez-là vite aussi celle-là, et rapportez la serpillière »

Sur les degrés, ça faisait une cascade, comme la rigole de la montée de Tire-Cul, et les filles s'étaient toutes levées en se retroussant leurs jupes. La Marguerite n'avait pas cinq ans. Je ne vous dirai pas rien son nom : ça pourrait lui faire du tort dans son commerce. A cet âge, n'est-ce pas, et émotionnés comme on était par la cérémonie, on comprenait bien qu'elle se soit oubliée. Mais elle, elle voulait quand même voir le Monsieur comme il n'y en avait que trois autre comme lui en France, et elle s'agrippait après ses voisines de toutes ses forces, en quinchant : « Me sortez pas, Mamoiselle ! Me sortez pas ! Je veux voir le Monsieur ! Je veux le voir, na ! Moi, c'est pas si tant grave que le Toine, ce n'est qu'une pipistrophe ! »

Finalement, elle l'a bien quand même vu. Pace que pendant qu'on était à se débattre, voilà-t-il pas que le grand qu'on avait mis dans l'allée rentre à la six quatre deux :
– Mademoiselle, Y a le Monsieur qui s'emmène !

Heureusement que la Maîtresse était une femme toute décidée, et pas catolle ! Entendant ça, elle ne fait ni une ni deux, elle attrape la bonne – Madame Louis – qui arrivait justement et qui était une grande grosse :
– Mettez vous là (qu'elle lui fait) et ne bougez pas plus que si vous étiez le Cheval de bronze !

Elle te vous l'installe franc sur le gaillot, en lui arrondissant bien ses jupes, nous fait tous croiser les bras et s'enfile à la galope dans le collidor pour aller tirer sa révérence à l'Inspecteur, avec une figure aussi sucrée que si de rien n'était.

Le Monsieur rentre, important comme tout, sans plus de cheveux, avec un nez que n'en finissait pas. Il avait une barbe blanche à moitié des joues, une grosse cocarde violette après sa lévite, un col blanc raide et une cravate pareille.
– Assoyez vous, mes enfants (qu'il nous fait).

Il va se mettre dans le fauteuil rouge qui était de derrière le milieu de la table, et il commence de nous réciter son discours. Hé bien, savez-vous ce qu'il nous a dit, cet homme comme il n'y en avait que trois d'autres en France ?… Qu'il n'avait jamais vu, en point d'endroit, des gones ni une école si propres ; que ça le rajeunissait d'être venu ; que rien qu'en passant le pas de la porte, il avait senti comme un parfum de jeunesse, et patati et patata. Enfin, rien que des compliments pour la Demoiselle et pour nous !

C'est vrai qu'on avait tenu toutes les croisées grand'ouvertes et que Madame Louis n'avait pas bronché de sur l'inondation, qui s'était embue à cha-peu entre les carrons ; mais quand même ! Vous ne me ferez jamais croire qu'avec le nez et l'instruction qu'il avait, le Monsieur ne s'était méfié de rien !

Enfin, qu'il se soit méfié ou pas, la Maîtresse a été avancée par après. Comme bien vous pensez, elle n'avait pas manqué de faire un cadeau conséquent à Madame Louis, pour sa peine d'avoir si tant bien réparé l'inondation. Elle lui a donné une belle paire de caoutchoucs vernis, à talons, pour se préservés de l'humidité.

Et moi, quand je raconte l'histoire à mes miaillons, je n'oublie jamais de leur dire, en finissant :
– Que ça vous serve d'exemple pour plus tard, petits tarabâtes ! Rappelez-vous bien de deux choses, quand vous serez grand : qu'il faut savoir se retenir devant le monde et ne pas tout dire ce qu'on sent !

 


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