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Conférencier : Claude Frangin Compte-rendu extrait du Bulletin n° 238 de juillet 2006 |
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Pour la dernière conférence de la saison, tout un cuchon de bons gones se retrouvent autour du tabagnon pour se délecter d'un verre d'eau que notre conférencier : Claude Frangin (*) va nous servir. Tous sont là, sauf comme de bien s'accorde Gnafron qui avait peur que ça le bassouille et à demandé à notre Parsident de l'excuser. Il a assez reçu d'eau sur le cotivet et ne voulait pas passer un tantôt à la Salle Edouard Herriot pour écouter une conférence sur l'eau.
Quand on est chez nous, on ouvre le robinet et l'eau coule. Aujourd'hui, à Lyon, ce geste est si simple, mais il n'y a pas si longtemps, l'eau n'était pas là. L'histoire de l'eau à Lyon de l'époque Romaine à 1930 va nous permettre de mieux comprendre ce qu'il a fallu faire pour que nous puissions boire ou nous laver aussi facilement.
Dès l'époque Romaine, il a fallu faire des prouesses techniques. La principale prouesse a été les murs le long des aqueducs qui ont permis leur conservation et facilité l'écoulement de l'eau. Quand Lucius Munatius Plancus en 43 avant JC a créé Lugdunum, il l'a positionné au sommet de Fourvière. N'oublions pas que cela représente 145 m de dénivelés entre la confluence du Rhône et le sommet de Fourvière. La ville était celle qui était la plus alimentée en eau après Rome. On estime qu'il y avait entre 45.000 à 60.000 m3 par jour qui arrivaient au sommet de Fourvière. L'alimentation en eau était réalisée à partir de quatre aqueducs. Le plus important était l'aqueduc de Gier qui est le plus long du monde antique avec 80 Km. Les Romains ont mis en œuvre des citernes. Notons celle de la grotte Berelle à l'intérieur de la cour du Lycée Saint-Just. Ils ont aussi utilisé le principe du siphon pour faire arriver l'eau. Des conduites en plomb étanches sur plusieurs kilomètres, permettaient une pression de 13 bars : 3 à 4 fois plus que celle que l'on a à nos robinets. Cela est extraordinaire. On dira que Lyon était la capitale du siphon antique, c'est la ville où on trouve le plus grand nombre de restes de siphons. A l'époque Romaine, l'intérêt du « service de la rue » était un cadeau de l'Empereur. Tout le monde devait pouvoir avoir accès à l'eau et des fontaines étaient réparties dans la ville. On peut noter la Fontaine du Verbe incarné (place de Trion). Leur alimentation était prioritaire par rapport aux alimentations privées qui étaient payantes. Cette situation a bien changé.
De l'époque médiévale au 14e siècle, il y a peu de détails. Au 14e siècle il y a eu beaucoup d'épidémies : près de 50% de la population de Lyon est décédée. 15e et 16e siècles, sont les siècles du renouveau de Lyon. C'est là que Lyon va prendre une nouvelle dimension et s'active avec l'attribution de foires par le Roi Charles VI qui vont attirer beaucoup de monde. Au niveau de l'eau, on a deux sources importantes : la source de la Déserte qui se trouve côté Croix-Rousse et la source de Siolan (ancien nom de Choulans) qui se trouve côté Fourvière alimentant des fontaines publiques qui « pissent » (coulent en permanence). Chaque source alimente plusieurs fontaines. Le trop plein d'une fontaine alimente une autre fontaine et ainsi de suite. Les points d'eaux vont être occupés très rapidement par les Seigneurs et les Confréries religieuses. Il va y avoir de plus en plus de points d'eau privés. Au 16e siècle, la soierie, les teinturiers, les imprimeurs arrivent. C'est une ville qui va avoir de plus en plus besoin d'eau. Des points d'eau publics vont être aménagés. Ce sont les puits et les fontaines. Le puits Pelu attesté dès 1293, le puits Gaillot. La fontaine des 3 Cornets, de Choulans, de Reuil, de la Déserte.
Au 17e siècle, l'eau manque. Le
Consulat lance en 1601 d'importants travaux de recherche d'eau et prescrit la
reconstruction de 20 puits. Avec le manque d'eau, les maladies guettent. La
première pollution d'eau se produit en 1619. Un boucher qui lavait les
entrailles de ses bêtes à la fontaine de Siolan est à l'origine de la pollution de
l'eau qui alimentait l'Hôpital de Saint-Laurent (vers le tunnel de Fourvière).
Lyon a besoin d'un Hôtel de Ville (construction de 1646 à
1672). On veut mettre une fontaine pour montrer que l'on sait gérer l'eau.
L'alimentation de l'Hôtel de Ville en eau est un souci durant tout le siècle.
L'idée est de prendre l'eau dans les rivières. Des tentatives de pompages avec
des machines hydrauliques sont réalisées en 1647 et 1653. Mais ces essais ne
sont pas très concluants et il va falloir trouver autre chose. L'eau sera tout
d'abord achetée à des confréries religieuses à la Croix-Rousse, ce qui permet
d'alimenter la fontaine et l'eau jaillit enfin en 1663.
En 1674, l'Hôtel de Ville brûle ! La fontaine ne
permettra pas d'éteindre l'incendie. On cherche toujours de l'eau et on fait
appel à des sourciers. Tout le monde creuse et parfois on trouve de vieilles
canalisations romaines. L'eau est déjà une richesse et est source de conflit. En
1694, l'édit de Louis XIV taxe la jouissance de l'eau.
Le 18e siècle, est le siècle des
pompes fontaines à balancier. On n'arrive toujours pas à avoir de l'eau
suffisamment. La Ville veut mieux gérer l'eau des puits et éviter que tout le
monde puisse y accéder n'importe comment et ainsi polluer cette eau si vitale.
Il est décidé de mettre en place des pompes fontaines, ce qui va avoir pour
effet de fermer le puits avec une porte en bois et d'avoir un système à
balancier pour permettre de remonter l'eau. La première pompe fontaine
est installée à Saint-Paul en 1721 sur la Place de la Poulaillerie. Il y en aura
30 à la fin du 18e siècle. Des réglementations municipales en 1725
interdisent de laver le linge autour des puits, mais de le faire aux plattes. On essaye de
tenter de nouveau de pomper l'eau à partir de barges flottantes vers le Pont de la Guillotière pour
alimenter des fontaines jaillissantes Place Louis le Grand.
Mais cela n'a fonctionné qu'entre 1727 et 1730. De nouveaux projets doivent être
trouvés. En particulier en 1760, le projet de réhabiliter l'aqueduc romain du Gier.
A la fin du 18e, le bilan sanitaire est
catastrophique. Si bien que l'Académie des Sciences lance en 1772 un concours
pour trouver comment alimenter en eau la ville de Lyon. Parmi les projets, l'un
prévoyait une pompe à vapeur, mais il n'a pas été retenu du fait des fumées qui
étaient jugées dangereuses et inesthétiques. Il n'y a toujours pas de solution.
La Révolution se traduit par une situation très
difficile. En 1790, la loi sur l'approvisionnement des objets nécessaires à la
vie équivaut à une « nationalisation ».
Au 19e siècle, se pose la question :
eau de source ou eau du Rhône ?
En 1807, le premier bilan qualitatif fait par la
Société de Pharmacie Lyonnaise dénombre le nombre de puits privés et de
fontaines. Il y en a 180. Il y a un point d'eau pour 800 habitants. Des analyses
de qualité d'eau montrent que l'eau du Rhône est aussi bonne que celle des puits
et qu'elle a une bonne saveur.
Le Code Napoléonien impose en 1807 un approvisionnement
en eau des édifices publics. C'est ce que l'on essaye de faire depuis 1646 à
Lyon ! A défaut d'avoir de l'eau, on autorise la vente de l'eau du Rhône. Le
prix était fixé à 5 centimes le seau. Les fontaines et les puits se multiplient
dans la mesure des eaux disponibles. On cherche des solutions. Les frères
Montgolfier proposent des solutions de bélier hydraulique. Un concours est lancé
en 1824, il n'y aura pas de soumissionnaires, mais un cahier des charges est
rédigé et il servira plus tard. Il y a eu une tentative en 1829 de creusement de
puits artésien (l'eau jaillit toute seule). Le cahier des charges a servi à des
entreprises à proposer des solutions. En particulier, l'usine hydraulique
flottante Gardon en 1833 qui devait alimenter la ville de Lyon sur la base de
450 m³ / jour. On est loin du volume de l'époque romaine. Cette usine a
fonctionné pendant 20 ans et a permis entre autre à alimenter la fontaine des
Terreaux. En 1838, suite aux inondations, on verra des annonces proclamant
« Buvons du vin » et il était recommandé de ne pas boire l'eau pure des puits.
En 1843, Aristide Dumont s'intéresse à la distribution
d'eau et il a un projet auquel il croit beaucoup. L'idée est de prendre l'eau du
Rhône et de la filtrer. Mais ce n'est pas dans l'ère du temps. Pourtant, ce sera
le projet qui servira plus tard à alimenter Lyon en eau et à répondre aux
besoins croissants de sa population et de son activité.
En 1852, on manque toujours d'eau. D'où le projet de
signer un contrat avec la Compagnie Générale des Eaux. C'est un tournant. Cela
fait plus de deux siècles que l'on cherche une solution et on commence à la voir
apparaître : alimenter en eau, à partir de l'eau qui provient du Rhône par
infiltration captée aux Petits Brotteaux (rive droite du Rhône). Le contrat est
signé en août 1853. Le Maire Claude-Marius Vaïsse
a eu une part active à cette contractualisation. Il est prévu : 120
bornes-fontaines, 13 fontaines monumentales, des bornes d'arrosage et 20 Km
d'égouts. La CGE s'installe sur le site de Saint-Clair. Le projet est
d'alimenter sur la base de 20.000 m³ / jour. On se rapproche du débit de
l'époque Romaine. Le décret impérial de création de cette société est
officialisé par Napoléon III en décembre.
Des bassins filtrants seront construits, dans lesquels
ont va pouvoir pomper l'eau. Ils ont été en service jusqu'en 1976. Actuellement,
il reste 4.000 m² de bassins, il y en a eu jusqu'à 7.000 m². Ces bassins
reçoivent l'eau par infiltration. Ils sont séparés du Rhône par un mur profond
de 3 mètres en dessous des plus basses eaux du Rhône pour obliger l'eau à
circuler dans la terre et se filtrer naturellement. Des machines à vapeur sont
installées et entrent en action pour pomper l'eau. L'inauguration prévue le 7
Juin 1856 est reportée au 15 Août du fait d'une forte inondation. La fontaine
des Terreaux est enfin alimentée en eau à partir d'une pompe à vapeur qui se
trouve à Saint-Clair. C'est la pompe de Cornouailles qui a
été décrite par Diderot.
Seuls 12.000 m³ / jour sont pompés. Le débit souhaité
n'est pas atteint. Des bassins seront ajoutés. Mais il y a un autre problème :
l'alimentation de Fourvière en eau. Il est prévu de mettre en place une colonne
d'eau et de faire un transvasement d'eau entre Croix-Rousse et Fourvière par un
système de siphon qui se déverse dans le réservoir de la Sarra. Fourvière est
alimenté en eau en 1860. Elle ne l'était plus depuis la fin de l'époque Romaine.
Le débit ne pourra pas dépasser les 30.000 m³. On
n'arrive pas à satisfaire la demande.
La fameuse querelle « eau de source, eau du Rhône » recommence. Des projets vont
germer. Citons le plus spectaculaire : alimenter Lyon à partir du lac d'Annecy
grâce à un aqueduc de 142 Km de long sur 2m de large qui arrivait à Rillieux.
Cet aqueduc devait avoir un débit de 600.000 m³ / jour. Ce projet sera étudié
pendant 10 ans.
Pendant ce temps, on manque toujours d'eau. En 1896, M. Clavenard lance le
projet de création des puits avec des forages rive Gauche (au niveau du parc de
la Feyssine). Ces puits alimentaient par siphonage, une station de pompage : le
Transbordeur, qui était raccordé à 38 puits. Ça a bien fonctionné. Cette
solution a permis de répondre à la demande.
Il aura fallu attendre 1896 pour permettre aux Lyonnais de retrouver ce qu'ils avaient connus à l'époque Romaine. Le 20e siècle marquera le retour en régie municipale du contrat de la CGE. On est le 1er janvier 1900. En 1934, le comptage individuel est généralisé, ce qui réduit de 30% la demande : le réseau d'eau est enfin largement suffisant par rapport à la demande. Après toutes ces informations sur l'histoire de l'eau à Lyon, nous sommes moins caquenano. Merci Monsieur Frangin de nous avoir fait partager votre connaissance de ce milieu et découvrir ce patrimoine qui deviendra si tant tellement important dans les années à venir.
(*) Claude Frangin est le Président de l'Association « L'eau à Lyon et la pompe de Cornouailles » qui se trouve dans l'Usine des Eaux à Saint-Clair (69 - Caluire).
Jeris Castelbou