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Conférencier : Henri Cogoluenhes Compte-rendu extrait du Bulletin n° 237 de février 2006 |
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C'est la première conférence de la saison 2005-2006 et notre historien, Monsieur Henri Cogoluenhes* va nous transporter dans les airs lyonnais et nous permettre de nous envoler vers une histoire peu connue des vols de montgolfières à Lyon, au tout début de l'épopée aéronautique. Il est vrai que maintenant, cela peut nous paraître désuet, mais il faut se replacer quelques années avant la Révolution Française…
Un petit clin d'œil sur notre sortie d'été à Annonay dans le fief des Montgolfier nous rappelle des souvenirs de la visite des papeteries Canson.
Le premier moyen de locomotion aérien est l'aérostat à
air chaud, plus communément appelé montgolfière. Les lyonnais ont été les
témoins de deux spectaculaires ascensions qui comptent parmi les toutes
premières.
Six ans avant la Révolution, le 21 novembre 1783,
François Pilâtre de Rozier et le Marquis d'Arlandes sont à l'origine du premier
vol habité par l'homme. Ils devancent de dix petits jours, le vol du physicien
Charles et de Nicolas Robert qui utilisèrent un ballon gonflé à l'hydrogène. Le
vol qui nous intéresse est celui du 19 janvier 1784 aux Brotteaux.
Joseph Montgolfier, le 13e
des seize enfants a été durant toute sa vie passionné par les innovations
technologiques et il fut l'authentique promoteur de cette réussite. Il avait
choisi Lyon pour réaliser son expérience : construire le plus gros ballon qui
permettrait d'atteindre soit Paris, soit Avignon. Ce monstre sphérique devait
avoir un diamètre de 33 mètres et une hauteur de plus de 40 mètres (autant qu'un
immeuble de 10 étages !), représentant un volume de 24.000 m³ d'air
chaud et pesant 8 tonnes au moment du lancement. On n'avait jamais construit de
ballon aussi grand avant ceux du Comte Zeppelin.
Une souscription
publique est ouverte pour réunir les fonds et permettre d'acheter les matériaux
et payer la main-d'œuvre. Après 2 mois, il n'y avait que les ¾ de la somme
nécessaire. Le Comte de Laurencin compléta les crédits, mais exigea d'être parmi
les passagers.
La construction
est confiée à Fontaine (agent commercial des papeteries Montgolfier). Près des
Terreaux plus de 100 personnes vont œuvrer (tailleurs, menuisiers, couturières).
L'enveloppe
devait être composée de seize fuseaux faits de trois couches de papier froissé
piquées à l'aiguille. Une partie du papier provenait des rebuts d'imprimerie de
l'Encyclopédie.
L'aérostat
portera le nom de « Le Flesselles » :
celui qui avait autorisé la souscription.
Le 23 décembre,
l'Académie Royale des Sciences attribuait un prix de 600 livres pour la
contribution au développement des sciences dans le Royaume. Louis XVI accordait
les prérogatives de la noblesse.
Lorsque les travaux sont
terminés en janvier 1784, les matériaux représentent ½ hectare.
L'emplacement
d'envol est trouvé sur les Brotteaux du Rhône (vers l'église Saint Pothin, à
l'angle de la rue Bugeaud et de la rue de Créqui). Mr Morand eut l'idée de
préparer le plan de circulation et de stationnement des calèches. C'est le 1er
plan de circulation organisée, le 1er trajet à sens unique
et le 1er parking payant.
Le mercredi 7 janvier, des charrettes traversent le pont Morand pour apporter les
matériaux. Le globe est reconstitué en deux jours. Le grand jour prévu est le
samedi 10 janvier, mais il fait un temps de chien. A 5h30, le foyer au sol est
allumé et le globe gonflé en vingt minutes, mais le feu retarde l'aventure. On
remplace le drap brûlé et vers midi, tout semble réparé. Une deuxième tentative
a lieu, mais le vacarme populaire empêche la compréhension des ordres.
L'expérience n'a pas réussi, l'envol est reporté.
Le lundi 12, les opérations reprennent, et alors que le gonflage se termine, un aide jette
par maladresse dans le foyer une botte avec de l'alcool. Le ballon s'élève
brutalement et de nombreuses déchirures vont nécessiter de lourdes réparations.
Le jeudi 15, le ballon est gonflé en 17 minutes. Pilâtre réussit un essai en vol
captif, mais il allait bientôt faire nuit et l'expérience est une nouvelle fois
repoussée.
Le matin du vendredi 16, l'enveloppe était raidie par le verglas. Un feu est fait pour
la déraidir, mais elle s'enflamma et de grosses réparations devaient être
faites. Les souscripteurs étaient en colère.
Alors que le samedi 17 semblait être le jour de l'exploit, rien ne se passe et dans la
nuit ainsi que le dimanche, il neige. Le ballon arbore désormais des noms
ridicules.
Le matin du lundi 19, la couche nuageuse est moins épaisse. Le ballon est préparé. De
nombreuses personnes sont présentes et pataugent dans la neige. Un grand
désordre existe pour l'embarquement. Il est midi quarante huit, quand le
ballon se soulève en emportant huit personnes. Trop chargée, la machine s'élève
lentement. La galerie rase les têtes de la foule qui doit se courber. Elle se
traîne et est soutenue à bras par certains. Un passager clandestin est
découvert : Lenoir. Il est jeté par-dessus bord. Le ballon s'élève alors. Les
applaudissements fusent devant le spectacle d'un tel prodige. Les 7 passagers
admirent les 50.000 visages tournés vers le haut. Un changement de vent ramène
l'aérostat vers son point d'envol. Des témoins affirmeront que la hauteur était
3 fois plus haute que Fourvière (600 m). Un incident survient : l'enveloppe se
déchire sur une hauteur importante. Le ballon dégringole vers le sol et la
lourde machine s'écrase sur un pré ramolli par la neige.
Le voyage a duré… un quart d'heure. Le point de chute était derrière la maison Morand,
actuelle Place Kléber. Le vol a été de 650 toises, c'est-à-dire 800 mètres
environ.
Bien que l'expérience fût manquée par rapport aux espérances, il n'y eut pas trop de
dégâts physiques, même si les aérostiers étaient noirs comme des charbonniers et
Joseph de Montgolfier eut 3 dents cassées. Ce 1er crash de l'histoire
s'est terminé dans la bonne humeur et nos héros eurent un retour triomphal en
ville.
On ne sait pas ce que sont devenues les reliques de ce gros ballon : peut-être réutilisé en linge
ou en bois à brûler…
De cette journée, nos aérostiers en retirent la gloire qu'ils méritent. Lyon avait ainsi participé à la conquête de l'espace. Et si cette période n'est pas très connue, cette conférence aura donc eu le mérite de nous rappeler ces moments mémoriaux et magiques, qui marqueront la voie à nos grands pilotes.
Jeris Castelbou
* M. Henri Cogoluenhes nous a quitté le 2 janvier 2006. Nous le regretterons beaucoup pour sa gentillesse et son talent.