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Le quartier du « Moulin à vent »
Conférence du 15 novembre 2003

 

Pompe
Une pompe à M… en plein travail.

Conférencier : Henri Cogoluenhes

Compte-rendu extrait du Bulletin n° 231 de février 2004

 

 

Si je devais parler du Moulin à Vent à des « ceusses qui sont pas d'ici », une confusion risquerait d'envahir leur comprenette.

Pour certains, ce terme évoquerait sans doute les souvenirs d'un voyage en Hollande ou sur l'île de Crête. De leur côté, les lecteurs de Cervantès penseraient, inévitablement aux installations éoliennes que Don Quichotte prit pour de redoutables géants, au point de briser sa lance contre leurs ailes.

Mais pour nous, bons Yonnais, ce nom de Moulin à Vent évoque aussitôt un modeste quartier de notre banlieue sud, une avancée au pourtour trapézoïdal que Vénissieux glissa en catimini dans le plan notre Guillotière. Pouvait-on seulement lui dénicher un passé ? Essayons d'en juger ensemble...

Si, en pensée, nous y revenions, aux temps préhistoriques, que verrions-nous ? Un platau, peu fertile et presque sans habitation. A son couchant, au bas d'une pente, coulait un fleuve puissant aux rives incertaines que les Allobroges nommaient le Rhodanus et qui devint ce Rhône dont nous sommes si fiers.

Ayant conquis les Gaules, Jules César licencia la plupart des légionnaires qui, pendant douze ans, bataillèrent sous ses ordres. Au lieu de les doter d'une illusoire pension de retraite, il leur distribua une portion des terres annexées.

Ainsi, des dizaines de milliers d'anciens combattants devinrent nos premiers cultivateurs. On attribuait à des équipes de trois ou quatre hommes des carrés de terre de 710 mètres de côté soit environ cinquante hectares.

Le cadastrage de ces lotissements était décalé de 23 degrés par rapport à nos points cardinaux et cela explique l'orientation bizarre de nos rues Saint Amour ou du gazomètre ou celle de l'avenue Viviani qui mène à Vénissieux.

Agrippa, gendre de l'empereur Auguste avait fait de Lugdunum une véritable étoile routière. Une des voies principales fut le Compendium, c'est-à-dire ce raccourci vers Vienne qui devint plus tard notre célèbre Nationale Sept.

Aux temps féodaux, ce plateau fut nommé le Vélin et, en surplomb du fleuve, quelques cabanes d'agriculteurs devinrent l'ébauche d'un gros village médiéval qu'on appela CHAMPAGNEUX et qui occupait l'actuel domaine de notre hôpital Saint-Jean-de-Dieu et de son vaste parc.

C'est probablement au Dixième Siècle que Champagneux fut rayé de la carte, peut-être incendié par les cavaliers sarrasins venus au grand galop depuis la chaîne des Maures. A l'emplacement de l'agglomération détruite, un document de 1202 mentionne « une possession de l'abbaye d'Ainay comportant des prés, des vignes, une saulaie et une chapelle ».

Au XVe siècle y fut bâti un manoir offrant une vue superbe sur la vallée du Rhône et les collines d'Oullins et de Saint-Genis-Laval. C'est sans doute, un peu plus tôt que fut installé le Moulin à Vent et à farine qui engendra le toponyme de notre quartier.

Vous savez tous que Louis, le fils turbulent de Charles VII avait été nommé gouverneur du Dauphiné. Pour embêter Papa, il entretenait sournoisement des querelles entre les possesseurs de terres dauphinoises et les fermiers de l'archevêque lyonnais. Mais lorsque il devint roi de France, sous le nom de Louis XI, cet habile politicien mit un terme rapide à ces bisbilles.

Il fallut, pour cela, délimiter officiellement le vaste pays qu'on appelait le Mandement de Béchevelin. Louis XI confia ce soin à Loÿs Tindo qui vint à Lyon, tout exprès. S'étant logé grande rue de la Guillotière en l'an de grâce 1479, ce Commissaire royal partit pour une longue chevauchée et, interrogeant des personnes compétentes tout au long de son parcours, il traça des limites que, désormais, Lyonnais et Dauphinois devraient respecter. Tout cela fut mentionné avec précision dans un long rapport.

Le plan tracé d'après ce rapport de 1479 est le premier sur lequel on puisse repérer un bâtiment qui semble avoir été le fameux Moulin à Vent. La limite choisie par Tindo passait au sud du moulin présumé. Un plan du XVIIIe siècle permet de le situer près de l'angle des rues actuelles de Montagny et du Moulin à Vent. Le souvenir de ce moulin témoigne qu'il y avait, tout près, des champs de céréales (froment ou seigle) et aussi des consommateurs.

Vous pensez bien qu'au cours des siècles, les gens oublièrent volontiers les décisions du sieur Tindo. Et, comme ceux de la Guillotière n'avaient guère d'ambitions sur ce territoire ingrat, la communauté de Vénissieux grignota peu à peu ses limites septentrionales pour les porter jusqu'à l'axe actuel de nos rues Challemel-Lacour et du Moulin à Vent.

Le lendemain de Noël 1748, une forte tempête brisa des peupliers, arracha des tuiles, écroula une partie du mur de clôture du Château de Champagneux. Maître Claude Teissier, notaire royal à Lyon vint expertiser les dégâts. Ce tabellion, le fermier du château et deux témoins prirent leur repas à la Grange du Moulin et remarquèrent qu'à la Tour du Moulin, des tuiles avaient été emportées et que le portail était branlant. Les termes du contrat notarial permettant de penser que ledit moulin était donc devenu une sorte d'auberge campagnarde.

En septembre 1777, le roi Louis XVI approuvait la création du service dit « de la petite poste » dont le rôle était de faire lever le courrier par des facteurs qui le portaient ensuite au bureau central de Lyon. Sur la route de Vienne, trois boites aux lettres furent installées :
à « Faisin », au bourg de Vénissieux et au Moulin à Vent. La première levée eut lieu le 1er janvier 1778.

Veuillez me pardonner d'effleurer un sujet déconseillé aux narines délicates…

Peu avant la Révolution, le sieur Etienne Laboré reçut du roi le privilège de vidanger les fosses d'aisance des maisons lyonnaises pour en disperser le contenu sur les terres de Champfleury (futur quartier de la Buire) et de Plantechoux (c'est au sud de notre place Guichard). Ces deux noms sont éloquents Pour exercer son utile industrie, Laboré s'installa au château Rachais qui jouxte notre place Bir-Hakeim, il y logea son personnel et ses récipients.

Bientôt dépassé par l'ampleur de sa tâche, il eut l'idée de passer des accords de coopération avec les cultivateurs de Vénissieux et du Moulin à Vent. Cela ouvrit à ces terroirs caillouteux, les chances d'une prodigieuse fertilisation.

Les cultivateurs des deux agglomérations s'organisèrent pour assurer gratuitement le curage méthodique des latrines bourgeoises et, en sens inverse, pour faire vendre par leurs épouses, à Lyon et à la Guillotière, les beaux légumes qui poussaient sur leurs terres enrichies.

Chaque soir, sauf le dimanche, un défilé d'équipages composés de citernes et de tonneaux en bois, équipés de lanternes vertes, allait stationner devant les barrières de l'octroi et, dès que sonnait le dernier coup d'onze heures, ces tâcherons nocturnes se répandaient au grand galop dans les quartiers afin de pouvoir terminer leur besogne avant l'aube.

A l'aller comme au retour, les roues à bandage ferré tintaient si fort sur les pavés en tête de chat que ce tintamarre fut bientôt surnommé « l'artillerie de Vénissieux ». Cette appellation fit jurisprudence !

L'inestimable matière était exploitée selon deux procédés rivaux. Au bourg de Vénissieux, une sorte de grande boutasse fut aménagée près de l'actuelle avenue Jules Guesde qui, sans qu'on y vit trop de malice, porta longtemps le nom d'Avenue des Roses car les horticulteurs y vinrent nombreux. Par dessiccation dans cette barbotière, on obtenait la poudrette excellent engrais pulvérulent. Ce lieu devint célèbre dans tous les environs sous l'appellation enchanteresse de « Lac de Vénissieux ».

Les maraîchers du Moulin à Vent pratiquaient une technique moins compliquée. Après une dilution sommaire, il déversaient directement le contenu de leurs tonneaux. Cette méthode dite « du lisier » présentait un inconvénient pour les gourmets en raison de l'arrière-goût très prononcé qu'elle infligeait aux légumes.

Malgré les effluves que le vent du midi portait jusqu'aux Brotteaux, les deux modes d'épandage subsistèrent sous la Troisième République et, lorsque l'Union Mutuelle des Propriétaires (U.M.D.P.)

Lorsqu'un touriste parisien s'enquérait des attractions locales, il se trouvait toujours quelque loustic pour lui glisser, sur le ton de la confidence : « Mais, allez donc admirer le beau Lac de Vénissieux ! ».

Et lorsque, dans les voitures de la ligne N° 12, les ouvriers chimistes des usines de Saint-Fons voyaient monter quelque habitant de « Vénissieux-la-Pompe », ils se faisaient un devoir de se boucher ostensiblement les narines. Chaque époque à ses distractions !

En 1790, comme toutes les paroisses du Royaume, celle de Vénissieux fut transformée en Commune. On en profita pour officialiser l'empiétement territorial jusqu'à la rue du Moulin à Vent. La place du même nom devint, pour les voyageurs venant du sud, l'entrée principale de la Guillotière et du nouveau département de Rhône-et-Loire. Un poste de garde y fut placé. Les auberges s'y multiplièrent.

 

A suivre […]

Henri Cogoluenhes

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paru dans « Le Progrès » le 30/11/2003

 


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